Ceux qui vont jusque dans mes toilettes ne manquent pas de remarquer le mur sur roulettes fait avec d'anciens casiers de laines Phildar.
Ils sont remplis d'une centaine de nos paires de chaussures.
Pas vraiment une collection mais du plaisir à les acheter et les porter.
Et il y en a à peu près le double au grenier de toutes les tailles que je sors pour les défilés.
C'est donc tout naturellement qu'elles se sont invitées dans le conte que je devais écrire pour la veillée du solstice.
Pour que le texte soit plus digeste quelques images des plats salés aux allures de pâtisserie.
A : Et celles-ci, toutes noires qui brillent, on dirait qu’elles bougent toutes seules à droite et à gauche ?
J : C’était au début du siècle dernier, c’est sûr que ce ne sont pas les chaussures qui l’ont séduite, mais plutôt le beau costume bleu marine et le béret blanc avec le pompon rouge… Quand on le touche, il parait que cela porte bonheur. C’est vrai qu’il avait fière allure le fils de la patronne dans l’encadrement de la porte de la cuisine du Relais Routier de Maisons-Alfort. Et elle, toute en rondeurs féminines, pulpeuse à faire chavirer le cœur d’un marin en permission. Elle avait quitté ses sabots de bois pour monter à la capitale, troqués contre des escarpins qui font la cheville si fine…
Alors la Patronne est devenue belle-mère puis rapidement Mémé La Musique. En effet, il n’a pas fallu longtemps pour que l’enfant de l’amour se manifeste alors une belle noce de 3 jours a officialisé cette union… En fait, je me demande si les souliers qui brillent ne l’ ont pas un peu séduite aussi car, ensuite, chaque dimanche soir, elle lui a ciré ses chaussures au beau marin, comme un rituel ! Étaler un peu de cirage avec la petite brosse dure, attendre que cela sèche, faire briller avec la grosse brosse souple et au final … polir avec un vieux pull de laine. On ne parlait pas encore de recyclage mais quand un lainage était troué ou feutré, il servait encore.
Vite, les mémés et les tatas se sont mises à tricoter des chaussons afin qu’il n’ait pas froid ce bébé qui allait arriver en janvier.
A : En janvier comme moi ?
J : Oui, mais quelques jours et quelques années avant.
A l’époque, tu sais, pas d’échographie, alors on faisait des chaussons verts ou jaunes comme cela personne ne pouvait dire " c’est un garçon ? ", " ah, non c’est une fille qui porte des chaussons bleus ! "
5 jours et 55 années après, le matin de ta naissance, le bébé aux chaussons jaunes ou verts s’est offert des escarpins en daim bleu tout doux. Toi, évidemment, tes premiers chaussons étaient roses car on attendait une fille ; bien sûr, on ne savait pas que c’était toi et tes parents n’avaient pas voulu nous dire comment tu t’appellerais.
Enfin tes premiers chaussons étaient bien roses mais de vraies chaussures de fille rouges vernis avait un peu envisagé ta naissance quelques Noël avant. Dommage, le Père Noël n’avait pas prévu que tu serais un grand bébé et surtout pas pressée d’enfiler tes premières chaussures pour faire tes premiers pas…
A : C’est quoi, ces drôles de chaussures rouges avec comme un accordéon dans le milieu
là-bas, très loin dans la toute petite maison ?
J : Tu le verras bientôt ton Papéou sur les pistes de ski, on dirait qu’il danse quand il écarte les bras dans les virages pour garder l’équilibre. Alors tout le monde se retourne et le regarde en disant " c’est beau, c’est …comment ça s’appelle déjà, ce ski là ? "
A : Ces bottes là, je les connais bien, ce sont les bottes d’équitation de ma maman, enfin celles qu’elle met quand elle fait un concours avec sa nouvelle jument, sinon pour aller voir Loustic, elle met les marrons courtes, pleine de boue… Parce que des fois ce serait bien qu’il y ait encore la mémé le dimanche soir, pour cirer les bottes à ma maman !
Celles-ci aussi, je les reconnais, ce sont celles que mon papa met quand il va jouer au rugby, quand il ne s’est pas fait mal.
Parce qu’il court tellement vite mon Papa, que cela craque souvent dans sa cuisse. Je crois que des fois, ça l’arrange de rester avec maman le soir, alors il va quand même dire bonsoir à ses copains mais il se dépêche de rentrer pour nous retrouver.
J : As-tu vu les noires vernies et les dorées avec de hauts talons ? Il n’y a pas longtemps qu’elles sont là.
A : Ah, oui, elles n’étaient pas là l’année dernière, on dirait un peu des chaussures de princesse, d’une grande princesse.
J : Je crois que son Prince Charmant a réussi à la trouver, je ne sais pas s’il a réveillé la Belle au Bois Dormant ou s’il a retrouvé Cendrillon mais les deux chaussures sont bien réunies.
A : Tu crois qu’elle me les prêtera quand je me déciderai à marcher ?
En tout cas, j’espère qui vivront longtemps, qu’ils seront heureux et auront pleins d’enfants, enfin pas trop quand même, sinon il faudra que je partage mes jouets avec tous mes cousins !
Le Prince aussi a de jolies chaussures.
J : Oui, quand elles sont neuves car ils les aiment tellement que même quand elles ont des trous partout et sont décousues, il n’arrive pas à les jeter. Alors, il a plein de vieilles chaussures, un peu comme une collection.
A : Il y a aussi les bottes en caoutchouc de mon Papi, qu’il met souvent quand il passe le motoculteur. Et puis ses Croks, il est moderne mon vieux Papi !
Tu as vu, il y a plus loin un sabot en bois, on dirait qu’il a été lancé en l’air.
J : Ta Mamie, que tu n’a pas connu, ne voulait pas que son fils lui mente, alors un jour elle s’est un peu mise en colère, heureusement à l’époque le 119 n’existait pas.
A : Tu crois que toutes les chaussures sont déjà là pour attendre le Père Noël ?
J : Non, c’est dans quelques jours Noël, elles sont à coté de la cheminée comme tous les soirs d’hiver pour sécher et être chaudes demain matin quand chacun va les remettre.
Mais cette nuit est une nuit spéciale. Les scientifiques l’ont appelée Solstice d’hiver, ce n’est jamais tout les ans à la même date de notre calendrier alors il faut qu’ils fassent de savants calculs pour trouver le jour exacte.
C’est la nuit la plus longue de l’année. C’est pourquoi nous avons mis la plus grosse bûche dans la cheminée pour avoir chaud et de la lumière jusqu’à demain.
Et à chaque fois, cette nuit là, les hommes s’inquiètent de savoir si les jours vont recommencer à s’allonger. En cette période de froid, c’est le début de l’hiver, ils se demandent si le soleil va revenir, alors pour se soutenir les uns les autres, ils se réunissent pour une veillée, manger, boire, jouer, raconter des histoires en mélangeant la réalité et les rêves. On y croit ou on fait semblant d’y croire. On retrouve Jul, Mitra, la naissance du Soleil, Saint Nicolas, le petit Jésus, le calendrier de l’Avent, la bûche de Noël, le Père Noël, lui, il est arrivé il n’y a pas longtemps.
Le Père Noël est un gros gourmand, un peu égoïste, maintenant il veut tout pour lui, il ne laisse guère de place aux histoires de ses ancêtres. Il veut toujours plus de choses, plus de cadeaux, plus de manger, plus de guirlandes… il appelle ça la croissance et dit que c’est bon pour l’homme…
Demain, comme depuis la nuit des temps, le soleil recommencera à se lever un petit peu plus tôt et à se coucher un peu plus tard, même si au début on a encore l’impression que la nuit est toujours aussi longue.
Enfin, c’est ce que j’espère comme ont espéré déjà mes parents, mes grands-parents, mes arrières grands-parents qui sont devenus aussi les tiens.
J’espère, car on n’est jamais vraiment sûr et on a toujours eu un peur cette nuit là que le soleil arrête de se lever.
Alors, pour se réchauffer le cœur, on se fait des petits cadeaux pour montrer qu’on s’aime, qu’on sait partager, qu’on sait donner et recevoir.
A : Et bien, je crois que je vais espérer, aimer, partager, donner et recevoir aussi avec toi ce soir.